Comment voir l’invisible à travers la parabole de la fenêtre brisée

Que peut-on apprendre d’une vitrine brisée ? Frédéric Bastiat nous a enseigné la plus importante leçon d’économie à travers l’ histoire d’un jeune voyou qui a brisé la vitrine d’un commerçant.
Voici comment cela se passe : un garçon jette une brique sur la vitrine d’un boulanger et une foule se rassemble pour discuter des conséquences économiques. Ils consolent le boulanger en soulignant que les entreprises de réparation de vitres ont elles aussi besoin de clients, et que tout n’est donc pas si mal. Après réflexion, ils concluent que l’emploi et les dépenses de la communauté ont augmenté grâce à la vitre brisée, et que cette petite dépense du boulanger pour la réparer déclenche une réaction en chaîne. Le vitrier dispose désormais d’argent supplémentaire pour acheter divers articles, et les personnes qui lui ont vendu ces articles ont des revenus supplémentaires, et ainsi de suite.
La foule en conclut que la destruction est bénéfique pour l’économie car elle stimule les dépenses et l’emploi. Si cela semble trop absurde pour être vrai, c’est parce que c’est le cas.
La leçon
Bastiat nous encourage à considérer l’ invisible . Que ne voyons-nous pas dans cette histoire ? Nous ne voyons pas à quoi le boulanger aurait dépensé son argent s’il n’avait pas dû le dépenser pour réparer sa fenêtre.
Dans la version originale de Bastiat, l’achat invisible est une nouvelle paire de chaussures. Dans la célèbre adaptation de la même histoire par Hazlitt, il affirme que le boulanger aurait acheté un nouveau costume. Peu importe à quoi le boulanger aurait dépensé son argent ; l’important est que nous comprenions que la réparation de la fenêtre est coûteuse. Le boulanger doit renoncer à ses projets précédents concernant cet argent, car il doit maintenant l’utiliser pour réparer la fenêtre.
Cela signifie que la vitre brisée ne représente ni de nouvelles dépenses ni de nouveaux emplois. Elle a simplement réorienté les dépenses et modifié les profils d’emploi. Au lieu d’un cordonnier ou d’un tailleur, c’est un vitrier qui obtient des contrats.
Mais c’est pire qu’un simple transfert de dépenses neutre. La communauté est défavorisée car un bien précieux a été détruit. Elle souffrira à jamais du bien-être matériel, contrairement au scénario où la fenêtre n’aurait jamais été brisée. Même après réparation, le boulanger manquera d’une paire de chaussures, d’un costume neuf ou de tout ce qu’il désirait avoir et apprécier. Puisque le boulanger fait partie intégrante de la communauté, celle-ci s’en trouve d’autant plus défavorisée.
La leçon à tirer est la suivante : nous devons prendre en compte toutes les parties concernées, et pas seulement celles que nous voyons. De même, nous devons tenir compte des conséquences à long terme, et pas seulement à court terme. Cela s’applique aux politiques gouvernementales, aux catastrophes naturelles et à tous les autres événements, petits ou grands, dans le monde.
Et si le boulanger voulait investir dans son entreprise ou simplement économiser de l’argent ?
Mais que se passerait-il si le boulanger n’achetait pas un bien de consommation ? Et s’il préférait acheter un bien d’équipement, ou simplement économiser ? La logique est-elle valable ?
Prenons d’abord le cas d’un boulanger qui envisageait d’utiliser cet argent pour moderniser son four. Son four est petit et met du temps à chauffer. En achetant ce nouveau four, il pourrait préparer bien plus de gourmandises pour la ville. Supposons que le boulanger prévoyait d’acheter son nouveau four cet après-midi, mais qu’au matin, le voyou brise sa vitre. Comme précédemment, l’activité de réparation de vitres s’en trouve stimulée.
Ce qui est invisible, c’est toute la chaîne d’événements qui se serait produite si la vitre n’avait pas été brisée. Malgré cela, l’invisible est crucial pour saisir pleinement les conséquences de la vitre brisée. Le coût de la vitre est supérieur à l’argent dépensé pour la réparer. Ce sont les gâteaux et les tartes perdus qui ne seront jamais cuits ni dégustés.
La leçon ne repose donc pas sur l’achat d’un bien de consommation par le boulanger. La vitre cassée coûte cher, même si le boulanger prévoyait d’acheter un four, et non des chaussures ou un nouveau costume.
Mais que se passerait-il s’il avait plutôt prévu d’économiser cet argent ? Et si l’argent restait simplement dans son coffre-fort ? Dans ce cas précis, la vitre brisée représente assurément une étincelle de nouvelles dépenses, car l’alternative était que l’argent dorme sous la forme des économies du boulanger, n’est-ce pas ?
Une fois de plus, cette conclusion ignore l’invisible. Épargner, c’est simplement dépenser pour l’avenir. Prenons l’exemple du boulanger qui a dû épargner avant de pouvoir acheter son nouveau four ou son costume. Il a dû mettre de l’argent de côté progressivement avant d’en accumuler suffisamment pour réaliser son achat.
Autrement dit, nous épargnons pour une raison. L’épargne ne représente pas de l’argent inutilisé ; elle est mise de côté pour un objectif précis. Même un fonds d’urgence a une utilité : il permet de dissiper l’incertitude de l’épargnant face à certaines éventualités (par exemple, en cas de destruction immobilière imprévue !).
La vue d’ensemble
Bastiat concluait qu’un bon économiste s’intéresse à l’invisible. Il appliquait ce même principe aux subventions publiques au théâtre et aux beaux-arts, aux travaux publics pour l’emploi, au protectionnisme, aux machines qui déplacent les travailleurs et aux autres interventions gouvernementales dans les domaines du crédit et de l’épargne. Il démontrait que, dans chaque cas, les arguments en faveur des dépenses publiques, de la fiscalité et de la réglementation négligent les coûts invisibles de chaque politique.
Si le gouvernement décide de soutenir le théâtre, cela se fera au détriment de toutes les autres activités. Si des travailleurs sont affectés à des projets d’infrastructures à l’utilité douteuse, ils sont également détournés d’emplois productifs et rentables ailleurs. Si une entreprise locale est protégée par des droits de douane sur les importations de concurrents étrangers, le coût invisible réside dans la façon dont toutes ces ressources immobilisées dans cette activité en réanimation seraient utilisées de manière rentable pour d’autres emplois.
On voit donc comment Bastiat a utilisé la même idée pour combattre toutes les idées économiques erronées de son époque. Nombre de ses arguments se résument à nous rappeler que rien n’est gratuit On ne peut rien obtenir de rien – tout a un coût. Cela s’applique aux entreprises privées, aux consommateurs et aux pouvoirs publics.
Machines et emploi
Examinons de plus près son analyse des machines et de la manière dont elles déplacent les travailleurs. Tout d’abord, Bastiat admet que les nouvelles inventions entraînent effectivement des pertes d’emploi pour certains travailleurs. Il ne le conteste pas, car cela fait partie des conséquences visibles des nouvelles technologies. Bastiat, cependant, souhaite que nous regardions plus loin, au-delà du travailleur malheureux qui a perdu son emploi, au moins temporairement.
Lorsque nous cherchons l’invisible, nous considérons que si la technologie est économique, l’entrepreneur peut désormais produire la même quantité et conserver une plus grande part de ses revenus. Cet accroissement de ses revenus se traduit par une demande pour d’autres biens et services, attirant ainsi des emplois dans ces secteurs. S’il peut être exagéré de supposer qu’un travailleur licencié retrouve un emploi dans ce secteur précis, il est tout à fait possible de constater que, compte tenu des fluctuations globales du marché du travail, il n’y a pas de dommages permanents : il reste une place pour tous ceux qui recherchent un emploi.
De plus, l’invention accroît la productivité de la communauté tout entière, permettant ainsi aux consommateurs de bénéficier de biens supplémentaires et/ou de meilleure qualité. Selon Bastiat, cela est particulièrement évident lorsque les prix des produits fabriqués grâce à la nouvelle technologie diminuent grâce à la concurrence sur le marché. Les économies et les bénéfices accrus qui en découlent sont éphémères, car les entreprises se livrent une concurrence acharnée pour attirer les acheteurs grâce à des prix plus bas.
Par conséquent, si nous empêchons l’utilisation de technologies permettant d’économiser la main-d’œuvre, nous le faisons à nos risques et périls. Nous nous appauvrissons et freinons le progrès de l’ingéniosité humaine et ses bienfaits.
Les erreurs économiques sont toujours d’actualité
Bien que Bastiat ait écrit Ce qui se voit et ce qui ne se voit pas en 1850, on observe aujourd’hui les mêmes erreurs qu’à son époque. Henry Hazlitt attribuait la prolifération des erreurs économiques au fait que la politique économique crée des gagnants et des perdants. Il commença ainsi son livre « Économie en une leçon » , qui popularisa les idées de Bastiat auprès du public du XXe siècle :
L’économie est entachée de plus d’erreurs que toute autre science connue. Ce n’est pas un hasard. Les difficultés inhérentes à ce sujet seraient de toute façon considérables, mais elles sont multipliées par mille par un facteur insignifiant, par exemple en physique, en mathématiques ou en médecine : la défense d’intérêts égoïstes. Si chaque groupe a des intérêts économiques identiques à ceux de tous les groupes, chaque groupe a aussi, comme nous le verrons, des intérêts antagonistes à ceux de tous les autres groupes. Si certaines politiques publiques bénéficieraient à long terme à tous, d’autres ne profiteraient qu’à un seul groupe, au détriment de tous les autres. Le groupe qui bénéficierait de telles politiques, ayant un intérêt si direct dans celles-ci, les défendra avec plausibilité et persévérance. Il recrutera les esprits les plus prometteurs pour consacrer tout leur temps à présenter ses arguments. Et il finira soit par convaincre le grand public de la solidité de ses arguments, soit par le brouiller à tel point qu’il deviendra quasiment impossible de réfléchir clairement sur le sujet.
On observe le sophisme de la vitre brisée à chaque catastrophe naturelle majeure et à chaque programme d’infrastructure. Après chaque ouragan, on voit une avalanche d’articles de journalistes s’empresser de souligner le « bon côté » des destructions massives : les travaux de réparation « stimuleront l’économie », disent-ils. Aux États-Unis, les écoles continuent d’enseigner que le New Deal de Roosevelt et la Seconde Guerre mondiale ont mis fin à la Grande Dépression. Les politiciens continuent de faire campagne pour « ramener les emplois » aux États-Unis par le biais de droits de douane élevés et d’autres mesures protectionnistes. Et on voit régulièrement des articles sur la façon dont l’intelligence artificielle et la robotique mettent en danger la sécurité de l’emploi de presque tous et l’économie tout entière.
Comment Bastiat a-t-il fait ?
Bastiat a accompli beaucoup dans son essai. L’un de ses exploits les plus remarquables a été de percer le voile de l’argent. Il n’était pas hypnotisé par ce que les économistes du XXe siècle appelaient « l’illusion monétaire ». Bastiat comprenait que ce qui comptait pour les consommateurs, ce sont les biens et services réels dont ils peuvent bénéficier. Ce qui compte vraiment pour la productivité, c’est l’accumulation de capital et la technologie. Il est facile de se laisser distraire par l’évolution du salaire d’une personne ou par un déplacement des dépenses d’un lieu à un autre, mais Bastiat était capable de voir et d’analyser l’économie réelle sous-jacente à la valeur nominale.
Plus important encore, Bastiat a démontré que la bonne vieille logique et la raison prévalent en appliquant systématiquement le même principe de bon sens : il faut considérer tous les effets et non seulement les plus visibles ou immédiats. Nous devons réfléchir aux problèmes actuels et aux propositions politiques avec clarté et exhaustivité. Ne négligeons pas l’invisible !
Ce faisant, Bastiat a démontré que l’État n’est pas à l’abri des lois de l’économie. Les gouvernements ne sont pas épargnés par la rareté et les compromis. Tout a un prix, même (et surtout) les œuvres apparemment prodigieuses d’un gouvernement généreux. Bastiat nous a rappelé que les gouvernements ne possèdent rien d’autre que ce qui a été pris à l’économie privée.
Enfin, Bastiat est un excellent exemple à suivre en cas de désaccord. Il est essentiel de lire l’essai de Bastiat pour comprendre ce que je veux dire. Il n’a jamais transigé sur ce qu’il savait être vrai, mais il a également reconnu ses adversaires autant que possible. Il n’a jamais contesté les conséquences constatées et a souvent émis des commentaires désarmants comme : « Il y a certainement beaucoup à dire des deux côtés sur cette question. » Bastiat a habilement utilisé ces points de convergence (même s’ils sont ténus) comme tremplin pour sa propre analyse complète. Cela contribue grandement à convaincre le lecteur qu’il est de son côté dans sa recherche de la vérité.
Cet article a été piblié initialement par FEE et traduit en français par Institute for Economics and Enterprises
Partager ce contenu:
Leave a Reply