Réponse de l’Afrique aux tarifs douaniers américains et perspectives économiques

Le 2 avril, le monde a été témoin d’une initiative emblématique du président américain Donald Trump : il a déclaré cette journée « Jour de la Libération » et a instauré des droits de douane réciproques spécifiques à chaque pays. Cette mesure a marqué un tournant majeur dans la stratégie commerciale américaine : il a imposé des droits de douane sur les importations en provenance de 180 pays, proportionnels à ce que les États-Unis considèrent comme des barrières que ces pays imposent aux produits américains. Comment l’Afrique devrait t il reagir à cette situation ? Point avec Shimukunku Manchishi, chargé principal de politique commerciale à l’African Future Policies Hub.
Grâce à une méthodologie inédite et non conventionnelle, les États-Unis ont calculé ces droits de douane en divisant leur déficit commercial avec chaque pays par la valeur des exportations de ce pays vers les États-Unis, puis en divisant le résultat par deux. Il en est résulté un ensemble de droits de douane d’une portée considérable, allant de 10 % à 50 %, des pays comme le Lesotho se situant en haut de l’échelle.
Cette approche unique ignore de manière flagrante les réalités propres à chaque pays, en particulier celles des pays les moins avancés. Prenons l’exemple du Lesotho : des années de soutien des gouvernements américains successifs dans le cadre de l’African Growth Opportunity Act (AGOA) ont permis au pays de développer une industrie textile tournée vers l’exportation, employant environ 40 000 personnes. En 2024, les exportations du Lesotho vers les États-Unis représentaient 146 millions de dollars . Pourtant, en raison de son enclavement et de sa dépendance à l’égard de l’Union douanière d’Afrique australe (SACU), le pays n’a importé qu’environ 9 millions de dollars des États-Unis. Ce déséquilibre a entraîné l’imposition de droits de douane réciproques parmi les plus élevés, un taux qui menace aujourd’hui l’effondrement d’une industrie nationale clé.
Plus généralement, le régime tarifaire réciproque est non seulement punitif, mais il compromet également les engagements des États-Unis au titre des règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Il constitue un défi direct au système commercial multilatéral, et l’Afrique se trouve directement dans le collimateur.
Les droits de douane se feront sentir dans tous les pays africains. Le secteur automobile sud-africain risque une forte baisse des exportations et des pertes d’emplois. Les producteurs de textile de Maurice et de Madagascar pourraient voir leurs industries s’effondrer. Les exportateurs agricoles comme la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Kenya sont vulnérables aux droits de douane élevés qui pourraient faire dérailler les échanges de cacao, de café et d’autres produits essentiels.
Bien que les États-Unis aient annoncé une pause dans la mise en œuvre de tarifs douaniers réciproques complets jusqu’en août, ouvrant ainsi la voie à des négociations commerciales bilatérales , le multilatéralisme est déjà entamé. Peu après l’annonce de la pause sur les tarifs réciproques, 75 pays auraient approché les États-Unis pour négocier des accords commerciaux. Cela témoigne d’une évolution mondiale croissante vers un bilatéralisme ad hoc, qui érode encore davantage l’ordre commercial fondé sur des règles.
L’« Accord de prospérité économique » conclu entre le Royaume-Uni et les États-Unis en est un exemple notable. Les deux parties semblent s’être entendues sur un accord de contingents tarifaires limités . Cet accord ne respecte pas les normes de l’OMC, car il ne libéralise pas « l’essentiel » des échanges commerciaux, une exigence essentielle de l’article XXIV de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce. Il viole également le principe de la nation la plus favorisée (NPF).
D’autres pays, dont le Vietnam, les Philippines et le Japon, ont signé des accords bilatéraux prévoyant des taux tarifaires ajustés (respectivement 20 %, 19 % et 15 %). Ces accords sont assortis de conditions supplémentaires, telles que des pénalités sur les marchandises transbordées ou des clauses d’investissement sectorielles.
Il est à noter qu’il n’existe encore aucun accord commercial avec un pays africain. Le Zimbabwe a été le premier pays africain à réagir prématurément en avril 2025, en suspendant tous les droits de douane sur les importations américaines afin de montrer sa bonne volonté. Parallèlement, de grandes économies africaines comme l’Afrique du Sud et le Kenya sont engagées dans de profondes négociations, tentant d’obtenir des conditions favorables face à une pression croissante.
Bien qu’une nouvelle prolongation de la trêve tarifaire semble probable, il est clair que les États-Unis poursuivent une stratégie commerciale bilatérale transactionnelle, offrant un allègement sélectif en échange de concessions sectorielles ou d’un accès à des ressources stratégiques comme les minéraux critiques. Cette approche est profondément préoccupante. Elle réduit des relations commerciales complexes à des négociations superficielles, les pays en développement étant censés être à « prendre ou à laisser ».
Une telle stratégie fragmente le commerce mondial en une mosaïque de marchés inégaux, privilégiant ceux qui ont le plus d’influence économique ou stratégique. Pour les pays africains, le risque est clair : sans une réponse unie, ils risquent d’être marginalisés.
Le danger est que les pays africains soient contraints d’accepter des accords inéquitables sans la protection d’institutions multilatérales comme l’OMC. Ces accords pourraient s’étendre à des secteurs cruciaux comme les matières premières, où l’influence africaine est importante mais souvent sous-exploitée.
En réponse, les pays africains doivent conclure des accords bilatéraux sectoriels intelligents et faire pression pour obtenir des exemptions tarifaires sur des exportations clés comme l’habillement, le café et les minéraux. Exploiter les atouts stratégiques du continent (des minéraux comme le cobalt et le lithium, par exemple) est essentiel pour obtenir des conditions favorables.
Parallèlement, il est crucial de diversifier les partenariats commerciaux avec les économies émergentes comme la Chine, et le renforcement de la coopération Sud-Sud pour conquérir de nouveaux marchés d’exportation sera essentiel. La résilience à long terme nécessitera également que les gouvernements africains investissent dans la compétitivité industrielle et approfondissent l’intégration régionale dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine.
Dans ce nouveau contexte commercial, l’Afrique ne doit pas rester passive. Grâce à une stratégie coordonnée et à une diplomatie affirmée, le continent peut protéger ses intérêts et façonner un ordre commercial mondial plus équitable.
Cet article a été piblié initialement par Mail & Guardian .et traduit en français par Institute for Economics and Enterprises
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